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Vol. 5 no 2
Novembre 2020

« Sur Internet, ça se répand comme une lèpre », écrit Virginie Despentes dans Vernon Subutex (2015: 29). L’idée d’une communauté soudée par les réseaux socionumériques, au détriment des contacts réels, se voit relayée dans la forme même de ce roman, qui repose sur une série de portraits (profils) de personnages que seule l’errance (navigation) du protagoniste permet de lier. La métaphore biblique de la lèpre suggère toutefois, non sans paradoxe, une dimension atavique au phénomène, la refonte contemporaine d’attitudes et de gestes issus d’un imaginaire plus vaste. L’usage du démonstratif « ça » rappelle en outre, par une référence freudienne indirecte, à quel point ce qui se transmet par la voie virtuelle relève de l’inconscient ou de la pulsion.

Amy Schissel, Post Digital Landscape 1 (2018)  
Œuvre issue de la série Post Digital Landscape  
Acrylique, encre et graphite sur papier | 46 x 61 cm  
Image numérique | 3016 x 3782 px  
Avec l’aimable autorisation de la Patrick Mikhail Gallery et de l’artiste  

Le dossier « Fictions du numérique. Représentations d’Internet et des réseaux sociaux dans le roman contemporain », codirigé par Sophie Marcotte, Michaël Trahan et moi-même, est consacré à l’exploration d’enjeux de ce type. Il ne s’agit pas de recenser les nouvelles formes de fiction développées à partir des outils du numérique, mais bien de réfléchir à la manière dont les formes littéraires traditionnelles, en premier lieu le genre romanesque, évoluent à la lumière de l’hégémonie des communications électroniques dans le monde actuel. L’approche retenue ne vise pas une théorisation d’ensemble : ont plutôt été privilégiées les études de cas, qui mettent en évidence certaines des singularités que suscite l’ouverture de la prose narrative à cette réalité augmentée. Les contributions s’intéressent, tour à tour, à la représentation de la navigation sur Internet et des échanges sur les réseaux socionumériques, à la réinvention des formes et des procédés que celle-ci entraîne, aux différences dès lors observables entre la littérature contemporaine et celle qui la précède, à la pertinence des outils d’étude de texte existants pour traiter d’un tel corpus. La section « Contrepoints » ouvre l’investigation à quelques cas de figure complémentaires, qui entrent en dialogue avec les fictions étudiées.

La signature visuelle du numéro est assurée par la série Post Digital Landscape de l’artiste canadienne Amy Schissel. La démarche qui sous-tend cette œuvre illustre de manière éclatante le thème du dossier, dans la mesure où il s’agit de représentations picturales, et non numériques, d’un paysage virtuel. Un article hors dossier d’Elaine Després, consacré à la série télé The X-Files, offre, en une coïncidence intéressante, une réflexion d’un autre ordre sur la question des communautés et leur fédération autour de diverses représentations et croyances.

Ce numéro qui, par le biais de la littérature, explore les nouveaux possibles ouverts par l’omniprésence des écrans, mais aussi les formes d’aliénation inédites suscitées par celle-ci, a été préparé lors d’une période de distanciation sociale, où la réalité rejoignait, par l’absurde, les sujets abordés. Je remercie vivement Fanny Bieth pour sa traversée sans faille de ce labyrinthe virtuel, de même qu’Émilie Bauduin et Elaine Després pour le précieux soutien apporté tout au long du parcours.

Sylvain David
Directeur

Pour citer

DAVID, Sylvain. 2020. « Éditorial », Captures, vol. 5, no 2 (novembre). En ligne : revuecaptures.org/node/4911/